A la toute dernière minute, via une amie qui a eu une
place à un tarif sacrifié via un ami, et qui ne peut s’y rentre pour cause de
travail « en retard », me voici en route pour le dernier jour de ce
concours prestigieux.
Fort de ma dernière expérience automobile pour aller aux« Bozart », j’ai changé d’itinéraire et suis, cette fois, fort
heureusement, arrivé sans encombre.
En plus, peu de file au Parking où il est
amusant d’apercevoir tous ces gens, pour la plupart sur leur trente et un,
s’épiant les uns les autres afin de voir s’ils sont vus.
Cette dame d’un certain âge que je croise à l’entrée du
garage, elle à pied, moi dans ma Tata (Jaguar a
été racheté par les indiens), jette un coup furtif au conducteur.
Eh oui Madâme, ce n’est que moi !
Ceci dit l’inverse se produira quand, au même endroit,
cette fois c’est môa qui suis à pied et croise une belle Ferrari grise. J’ai
regardé. Non, ce n’était pas mon cousin au volant !
A l’entrée des Beaux-Arts, petit moment de chaleur,
après le passage au « scanner » debout les bras écartés de face puis
de dos, à la première réception on me dit d’aller à une seconde où là il y a
deux guichets : un pour les VIP, un pour les journalistes. N’étant pas journaliste,
je vais aux VIP.
J’me présente et demande ma place au nom de X de la
fondation Y avec numéro de mon siège et lettre de l’allée.
La dame me regarde
de travers : « Mais vous êtes qui ? » Je redonne mon nom et
lui signale que c’est sans importance puisque une place m’a été réservé par
etc.
Elle m’arrache mon bout de papier pour lire ce que je lui raconte. Pour
ceux qui me connaissent, ils savent que j’ai une écriture de médecin sans pourtant
en avoir suivi la formation. J’ai, en quelque sorte, gagné 9 ans.
Elle est donc
généralement totalement illisible même quand je fais des efforts. Et comme là,
j’avais écrit pour moi... Autant dire qu’avoir ce papier dans les mains ne lui
sert strictement à rien. Et de me déclarer : « cela ne me dit rien.
Allez voir à côté », soit du côté des journalistes.
Autrement dit, elle me
renvoie donc purement et simplement bouler sans plus m’accorder aucun regard.
Je n’avais sans doute pas dû être assez hautain dans mon expression ! Par
chance, à côté, c’est une charmante dame qui m’écoute avec attention et me
répond : « Ecoutez, la seule chose que je peux faire, c’est vous
donner la dernière place pour journaliste que j’ai. Je ne sais pas si la vôtre
est meilleure ou pas. Mais comme ça vous pouvez rentrer et vous rendre à votre
place. Si elle est libre, prenez-là. Sinon, vous aurez toujours cette place
ci ».
Je la remercie chaleureusement et me présente aux sbires
qui scannent cette fois non plus les personnes mais les tickets. En le regardant,
l’un d’eux me dit : « pour vous en bas à droite ».
En fait, j’ai une autre place : « orchestre,
allée X numéro Y ».
Il m’arrache mon ticket des mains. Dis donc c’est une
manie chez eux. Je serais quand même curieux de voir quelle type de formation
on leur fait suivre pour faire leur boulot : « alors surtout, c’est
très important pour vous faire respecter, ne soyez pas aimable, jamais au grand
jamais, et n’oubliez pas de systématiquement arracher le papier des mains de
votre interlocuteur. »
Et celui-ci de clamer d’un ton très énervé :
« Moi, Monsieur, je ne regarde que le ticket, et votre ticket vous envoie
en bas à droite, c’est tout, allez » du genre « circulez, il n’y a
rien à voir ».
Je n’insiste pas et vais trouver une petite dame un peu
plus loin qui distribue des dépliants. Elle est bien plus sympathique et
m’indique le bon chemin. Il se fait que pour le début, c’est le même que celui
qui m’avait été aboyé, mais le point d’arrivée est bien sûr différent.
C’est
d’ailleurs une excellente place avec un couloir à ma gauche et devant
moi : donc je ne suis pas coincé entre deux personnes et j’ai de la place
pour les jambes, euh une fois qu’il n’y aura plus tous ces gens qui circulent.
J’entends derrière moi un «Oh, comment ça va, dis ? »
dans un claironnement de ton « zoutois » qui monte en crescendo d’une
façon telle qu’il ne peut qu’être entendu. Après tout on est aux Beaux-Arts et
on est venu pour entendre…
La sonnette sonne. C’est son rôle.
Elle provoque un mouvement de panique BCBG : chacun
s’affichant à la recherche de son siège, l’air de rien ! Genre : on
est des habitués. C’qui fait qu’on connaît par cœur l’emplacement de toutes les
allées et la numérotation des places.
Et pourtant, cela se déroule avec des
hésitations manifestes, des regards qui commencent à désespérer et des
« pourtant je suis sûr que c’était là nos places » pour revenir plus
tard dans un « c’est bien ça, nous sommes ici »
Et le clairon zoutois de claironner à nouveau « Moi, je
préfère celle-là » en laissant Madame, plantée, là, en une fois toute
seule, un peu étonnée quand même. « J’ai un Monsieur trop grand
devant ». J’avoue être tenté de me retourner pour voir si ce n’est pas
plutôt lui qui serait trop petit …
Mon voisin a pris d’autorité mon accoudoir droit et pour
applaudir l’entrée des musiciens tapote aussi discrètement que légèrement d’une
main celle posée négligemment sur le programme de la soirée.
Applaudissement poli du public pour l’entrée du jury et
nourri pour celle de la reine qui nous salue d’une main un peu comme le ferait
un cycliste, soit d’un geste populaire, même s’il a dû être savamment étudié et
répété.
Cela commence par le morceau imposé d’un compositeur
contemporain japonais qui doit être quand même assez torturé pour écrire des
trucs comme ça, soit des sons discordants que n’auraient pas dédaignés
Hitchcock dans son film Psychose au moment de la fameuse scène de la douche.
La
tension dramatique d’ailleurs monte de plus en plus, et cela me devient de
moins en moins auditivement supportable.
Mais tous les spectateurs – auditeurs ont l’air de se
satisfaire de ces sons intello-japonisant-torturés au violoncelle auxquels se
mélangent des notes cristallines bienvenues émanant d’un xylophone au milieu des
cris de violons accompagnés de grattements de gong et de cuivres qui se
lamentent.
Quand les musiciens s’arrêtent, le silence qui suit
pendant plusieurs secondes avant les applaudissements est impressionnant… Et
puis le jury se met à applaudir. Ce qui donne l’autorisation au public de le
faire également. Pour s’y joindre, le chef d’orchestre tape dans sa main avec
sa baguette. Cela doit quand même lui faire mal, mais il semble fort
enthousiaste.
Et le morceau suivant de s’entamer.
Comme je suis parti en mode audition images cinéma, les
titres défilent dans ma tête : Colombo en Espagne (oui je sais, c’est de
la TV et il n’a jamais fait d’enquête en Espagne), Vertigo, L’homme qui en
savait trop, Les hauts de hurle-vent version romantique, Les aventures de Michel
Strogoff version russo-tzigane, M le maudit, La mort aux trousses, etc. Oui je
sais, j’aime bien Hitch. Mais au fur et à mesure du temps qui passe, je finis
par totalement me faire happer par le jeu éblouissant du violoncelliste et
l’ampleur musicale qui se dégage de cet orchestre philharmonique bruxellois en
exercice.
En fait – mais je ne le sais pas encore – j’ai eu la chance
exceptionnelle et un plaisir rare : entendre en direct et in situ le futur
gagnant.
Entracte pour une courte pause cigarette où je rencontre
un collègue d’Epsilon et son épouse (ce qui est aussi inattendu que sympa),
passage devant ces dames plus ou moins gênées de faire publiquement la file
pour une petite ou grosse commission, un coca, et c’est reparti pour écouter la
même chose différemment.
Derrière moi, cela parle bruyamment allemand, et les
flamands dans les couloirs et ici sont bien présents, si pas en nombre,
quoique, en tous cas en bruits et tenues, à défaut de savoir se tenir.
Quelle
mauvaise langue je suis ! Donnons donc quelques exemples : de la
rangée devant émergent ostensiblement des bretelles de soutien-gorge rouge
écarlate, de la rangée à ma gauche des baskets d’une telle blancheur qu’elles
n’ont jamais dû voir un terrain de tennis de leur vie, le siège devant ces
chaussures, un type est occupé avec son PC. Et d’aucuns ont enlevés leur veston
et sont en bras de chemise…
Le brouhaha s’atténue en même temps que les lumières
mais le clairon zoutois, encore lui, toujours le même, trouve encore le moyen
de se faire entendre : « Môa, le chant et le piano, j’aime
bien ».
De là, à faire comprendre qu’il s’emmerde, il n’y a qu’un pas. Et
vu le prix des places, y en a qu’on les moyens pour s’embêter … entre
mélomanes.
Cette deuxième heure, cette fois avec un violoncelliste
russe (le premier était un français), je ne la vois pour ainsi dire pas passer (euh,
mon voisin non plus, il s’est endormi et ronfle un peu comme il tape dans les
mains, très discrètement) tellement je suis embarqué par ce musicien qui vit
totalement sa musique. Tout son corps et son visage sont transportés. Même
quand ce n’est pas à lui de jouer, il se dodeline sur son siège littéralement
possédé par la musique. A la fin de sa prestation ce sera d’ailleurs une
standing ovation largement méritée.
Et c’est la tête emplie de toute cette musique que je
retourne au parking en saluant au passage deux musiciens de rue : l’un
avec son piano à bretelles et l’autre avec son harmonica. Autres lieux, autres
genres.
Toutefois, la musique est et
restera toujours de la musique, qu’elle soit à la scène ou à la rue.
Ma soirée fut excellente. J’espère vous en avoir fait
profiter quelque peu.
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